En dépit d’une protection constitutionnelle sur le droit à l’alimentation et un ensemble sophistiqué de lois et de politiques nationales fondées sur les droits humains, « la famine causée par l’homme fait lentement son chemin au Zimbabwe », a déclaré une experte indépendante de l’ONU chargée du droit à l’alimentation.
NEW YORK, USA, le 02 Décembre 2019,-/African Media Agency (AMA)/- « Un fonctionnaire du gouvernement que j’ai rencontré à Harare m’a dit que “la sécurité alimentaire est la sécurité nationale”. Cela n’a jamais été aussi vrai que dans le Zimbabwe d’aujourd’hui », a fait valoir la Rapporteure spéciale sur le droit à l’alimentation, Hilal Elver, à l’issue d’une visite dans le pays d’Afrique australe du 18 au 28 novembre 2019.
Selon l’experte indépendante onusienne, plus de 60 % de la population d’un pays autrefois considéré comme « le grenier à blé de l’Afrique » souffre d’insécurité alimentaire. « La plupart des ménages ne pouvant se procurer suffisamment de nourriture pour satisfaire leurs besoins fondamentaux en raison de l’hyperinflation “, a déclaré Hilal Elver, lors de la présentation de son rapport préliminaire au terme d’une visite de 11 jours.
Lors de sa mission dans les zones touchées par la sécheresse, notamment à Masvingo et Mwenezi, des localités situées dans les régions les plus sèches du pays, les populations ont témoigné de leur souffrance quotidienne. « Les gens m’ont dit qu’ils ne mangeaient qu’une portion de maïs cuit par jour », a indiqué Mme Elver. Les femmes, les personnes âgées et les enfants sont à peine en mesure de subvenir à leurs besoins alimentaires minimaux et dépendent largement de l’aide alimentaire, tandis que la plupart des hommes sont à l’étranger pour chercher du travail, a-t-elle ajouté. « Sans accès à une alimentation diversifiée et nutritive, les Zimbabwéens des zones rurales, en particulier les jeunes enfants, survivent à peine, a-t-elle dit, ajoutant que le système agricole et alimentaire doit être réformé immédiatement.
LE ZIMBABWE PARMI LES 4 ÉTATS LES PLUS TOUCHÉS PAR L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE
Le Zimbabwe fait partie des quatre États les plus touchés par l’insécurité alimentaire, aux côtés des pays ravagés par des conflits, a noté l’experte indépendante onusienne. Alors que l’insécurité alimentaire et la mauvaise gestion des terres augmentent les risques de troubles civils, elle invite donc les autorités de Hararé, les partis politiques et la communauté internationale à s’unir « pour mettre fin à cette crise en spirale avant qu’elle ne se transforme en conflit à part entière ».
D’autant que l’insécurité alimentaire gagne du terrain. Dans les zones rurales par exemple, 5,5 millions de personnes sont actuellement confrontées à l’insécurité alimentaire en raison d’une insuffisance pluviométrique. A en croire l’experte onusienne, les conditions climatiques irrégulières ont des répercussions sur les récoltes et les moyens de subsistance. Une situation qui fragilise davantage les femmes et les enfants qui souffrent « le plus de la crise ».
La majorité des enfants rencontrés par l’experte souffraient de retard de croissance et d’insuffisance pondérale. « Les décès d’enfants dus à la malnutrition sévère ont augmenté au cours des derniers mois. 90 % des enfants zimbabwéens âgés de six mois à deux ans n’ont pas un régime alimentaire minimum acceptable », a-t-elle précisé. « J’ai vu les effets dévastateurs de la malnutrition sur les nourrissons privés d’allaitement en raison du manque d’accès de leur propre mère à une alimentation adéquate », a-t-elle dit.
Dans ces conditions, certaines femmes et enfants ont recours à des mécanismes d’adaptation qui violent leurs libertés et leurs droits humains les plus fondamentaux, dans un effort désespéré pour trouver d’autres moyens de subsistance. En conséquence, les abandons scolaires, les mariages précoces, la violence domestique, la prostitution et l’exploitation sexuelle sont en hausse dans tout le Zimbabwe.
LES ZONES URBAINES PAS ÉPARGNÉES PAR CETTE INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE
La Rapporteure spéciale a déclaré que la crise dans les villes du Zimbabwe n’était pas moins grave que dans les zones rurales. On estime que 2,2 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire et n’ont pas accès à un minimum de services publics, notamment la santé et l’eau potable. L’experte onusienne indique avoir été témoin de certaines des conséquences dévastatrices de la crise économique aiguë dans les rues de Harare, où les gens attendent pendant « des heures sur de longues files d’attente devant les stations-service, les banques et les distributeurs d’eau ».
« Les Zimbabwéens à qui j’ai parlé à Harare et dans sa banlieue m’ont expliqué que même si la nourriture était largement disponible sur les marchés, l’érosion de leurs revenus, combinée à une inflation qui monte en flèche à plus de 490%, les faisait souffrir d’insécurité alimentaire, affectant également la classe moyenne », a fait remarquer Mme Elver. « Ces chiffres sont choquants et la crise continue de s’aggraver en raison de la pauvreté et du chômage élevé, de la corruption généralisée, des graves instabilités des prix, du manque de pouvoir d’achat, de la faible productivité agricole, des catastrophes naturelles, des sécheresses récurrentes et des sanctions économiques unilatérales ».
Par ailleurs, l’experte indique avoir également reçu des informations selon lesquelles la distribution de terres ou de nourriture avait été manipulée à des fins politiques au cours des deux dernières décennies, favorisant ceux qui soutiennent le parti politique au pouvoir. Elle appelle donc le gouvernement du Zimbabwe à respecter son engagement en faveur de la faim zéro sans aucune discrimination, a dit
Plus largement, Mme Elver exhorte Hararé à prendre les mesures nécessaires pour réduire la dépendance du pays à l’égard des produits alimentaires importés, en particulier le maïs, et à soutenir les blés de remplacement pour diversifier l’alimentation. « Le gouvernement devrait créer les conditions nécessaires à la production de semences traditionnelles pour assurer l’autosuffisance et la préparation du pays aux chocs climatiques qui frappent le pays », tout en plaidant pour que des mesures soient prises au niveau international, « en mettant fin à toutes les sanctions économiques ». « Le peuple zimbabwéen extraordinairement résistant ne mérite rien de moins », a conclu l’experte indépendante onusienne.
Distribué par African Media Agency (AMA) pour les Nations Unies.
NOTE
Les Rapporteurs spéciaux font partie de ce que l’on appelle les Procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Les procédures spéciales, le plus grand groupe d’experts indépendants du système des droits de l’homme de l’ONU, représentent un ensemble de mécanismes d’enquête et de suivi indépendants établis par le Conseil des droits de l’homme et qui traitent soit de situations nationales spécifiques soit de questions thématiques au niveau mondial. Les experts des procédures spéciales travaillent sur la base du volontariat ; ils ne font pas partie du personnel de l’ONU et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisme et siègent à titre personnel.