Il faut garantir une enquête indépendante et demander des comptes aux individus responsables
NEW YORK, USA, Le 11 Mars 2022 -/African Media Agency(AMA)/-Les forces de sécurité tchadiennes ont tué au moins 13 personnes, dont un enfant de 12 ans à Abéché, dans la province de Ouaddaï, les 24 et 25 janvier dernier, et en ont blessé plus de 80 autres, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits de l’Homme (CTDDH).
Le 24 janvier, les forces de sécurité ont violemment dispersé des milliers de manifestants pacifiques qui étaient descendus dans la rue, sur la route allant du lycée Mahamat Yacoub Dobio à la place de l’Indépendance. Les manifestants protestaient contre le projet d’intronisation d’un nouveau chef de canton issu de la communauté ethnique Bani Halba à Abéché, une ville où réside un chef traditionnel appelé sultan. Le sultan est issu de la communauté ouaddaïenne. Les soldats ont tué trois personnes et blessé au moins 80 autres. Le 25 janvier, pendant l’enterrement au cimetière de Tago Zagalo de ceux qui avaient été tués la veille, des soldats ont une fois de plus tiré à balles réelles, sans discernement, tuant 10 autres personnes et blessant au moins 40 autres.
« La décision des forces de sécurité d’ouvrir le feu sur des manifestants et des habitants pacifiques est totalement injustifiable », a déclaré Mahamat Nour Ahmat Ibédou, Secrétaire général de la CTDDH. « Seule une enquête approfondie et impartiale sur l’usage excessif de la force par les forces de sécurité permettra d’identifier les individus responsables et les amener à rendre des comptes. »
Parmi les soldats qui ont tiré sur la foule, certains étaient des membres de l’Armée nationale tchadienne et d’autres d’une unité tchado-soudanaise officiellement connue sous le nom de Force mixte. Les soldats ont tiré des gaz lacrymogènes et à balles réelles avec des fusils d’assaut et des mitrailleuses.
Lors des manifestations du 24 janvier, les soldats ont également arrêté 212 personnes, dont certaines de manière arbitraire. Certaines d’entre elles ont été passées à tabac et toutes les personnes arrêtées ont été détenues dans des conditions inhumaines jusqu’à cinq jours, sans inculpation. Toutes les personnes arrêtées ont été libérées entre le 25 et le 28 janvier.
Entre le 30 janvier et le 13 février, Human Rights Watch et la CTDDH ont interrogé 27 personnes par téléphone, notamment 11 témoins de ces événements. Sur les 11 témoins interrogés, deux avaient été arrêtés le 24 janvier, et quatre avaient été blessés. Human Rights Watch et la CTDDH ont également interrogé des membres des familles des victimes, deux professionnels de la santé, ainsi que des représentants d’organisations locales de la société civile.
Les chercheurs ont également examiné huit vidéos et 41 photographies partagées directement avec les deux organisations ou publiées sur les réseaux sociaux, illustrant comment les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force lors de ces deux journées de janvier – des éléments qui s’ajoutent aux dossiers médicaux, certificats de décès, permis d’inhumer, articles de presse et autres déclarations du gouvernement. Des représentants de la CTDDH de N’Djamena se sont rendus à Abéché du 1er au 6 février et ont rencontré les autorités administratives locales, notamment Ahmat Dari Bazine (gouverneur de la province du Ouaddaï), Abdraman Mahamat (commandant de la compagnie de gendarmerie d’Abéché), Nicolas Ehka Pahimi (procureur de la République près le Tribunal de grande instance d’Abéché), Ahmat Nhonorti (délégué de la police nationale), Ousmane Bahr Mahamat, (commandant de la Force mixte tchado-soudanaise), Hanno Mouro, (commandant de la zone militaire numéro 2), et Abakar Hissein, Secrétaire général de la province du Ouaddaï.
Dans un communiqué de presse du 26 janvier, Abderaman Koulamallah, le ministre tchadien de la Communication, a regretté la « perte de vies humaines », mais a déclaré aux médias que les forces de sécurité n’avaient pas utilisé de balles réelles contre les manifestants et les habitants. Il a ajouté qu’il était « impossible de savoir si les tirs provenaient des forces de sécurité ou des manifestants ». Le 5 février, la CTDDH a rencontré Abdraman Mahamat qui a déclaré que le 24 janvier, les gendarmes avaient saisi 30 couteaux, 25 flèches, 4 grenades et 9 armes à feu de différents calibres parmi les manifestants.
Cependant, les déclarations de Koulamallah et de Mahamat contredisent les recherches de Human Rights Watch et de la CTDDH et les récits de tous les témoins interrogés. Un habitant du quartier de Goz Amir à Abéché, qui a participé à la manifestation, a déclaré à Human Rights Watch : « Les soldats ont tiré dans toutes les directions. Ils ont tiré à bout portant et sans discernement sur les manifestants. J’ai vu des gens tomber, morts ou blessés ».
Au moins trois témoins ont déclaré que le gouverneur Dari Bazine était présent quand les forces de sécurité avaient ouvert le feu sur les manifestants sur la place principale d’Abéché le 24 janvier. L’un d’eux, un homme de 29 ans, a déclaré : « À 11 heures, des véhicules militaires sont arrivés avec une Toyota V8 aux vitres teintées. C’était la voiture du gouverneur, je l’ai reconnue. Les choses se sont envenimées et après des consultations entre les militaires et ceux qui se trouvaient dans la Toyota [la voiture du gouverneur], la fusillade a commencé ». Suite à ces incidents, la population d’Abéché a demandé la démission du gouverneur. Le 2 février, la CTDDH a rencontré le gouverneur, le commandant de la Force mixte tchado-soudanaise et le commandant de la zone militaire numéro 2, qui ont toutefois refusé de répondre à toute question sur ces événements.
Distribué par African Media Agency (AMA) pour Human Rights Watch.