NEW YORK, USA, le 29 Septembre 2020,-/African Media Agency (AMA)/-Lorsque des Camerounais ont commencé à tomber malades du Covid-19, le président Paul Biya a lancé un appel à la solidarité publique pour aider le gouvernement à soutenir un système de santé déjà en ruines du fait notamment des crises sécuritaires qui affectent le pays.
Des dizaines de personnes et d’entreprises ont immédiatement versé d’importantes sommes sur un fonds créé à la hâte. Celui-ci aurait dû venir en complément du Fonds de solidarité pour la santé, une réserve d’urgence créée par le gouvernement en 1993 et à laquelle les établissements médicaux versent chaque mois 10 % de leurs recettes, ce qui a pour effet d’augmenter le coût des soins, déjà hors de portée de nombreux Camerounais.
Mais le gouvernement a géré ces deux fonds dans le plus grand secret, rendant impossible la traçabilité des ressources publiques. De fait, on ignore si et comment l’exécutif a dépensé cet argent, ainsi que les 226 millions de dollars (190 millions d’euros) qu’il a reçus du Fonds monétaire international (FMI) en appui à sa réponse au Covid-19.
Alors que le virus progressait à travers le pays, des membres des équipes médicales nous ont affirmé en juin que leurs hôpitaux n’avaient reçu aucune aide financière supplémentaire, ce qui limitait leur capacité à soigner les malades ou à fournir un équipement de protection adéquat au personnel.
C’est seulement sous la pression publique que le ministère de la santé, invoquant « l’urgente nécessité de la transparence », a publié le 29 juillet, dans un communiqué de deux pages, des informations sommaires sur la manière dont il avait dépensé 22 milliards de francs CFA (33,5 millions d’euros), affirmant qu’il s’agissait du total de ses dépenses en réponse au Covid-19 au cours des cinq mois précédents. Hélas, ce communiqué n’est qu’une parodie de transparence.
Des aides de la BAD et du FMI
Les informations fournies sont trop générales pour permettre un véritable contrôle de la part du public. On y apprend par exemple, sans plus de détails, que 1,75 milliard de francs CFA ont été consacrés à « réhabiliter, rénover et agrandir » les blocs d’isolement de trois hôpitaux de Yaoundé.
De la même manière, le communiqué contient une liste générique d’équipements censée correspondre à une dépense supplémentaire de 3,92 milliards de francs CFA enregistrée sous l’appellation « acquisition d’équipement médical pour distribution aux établissements de santé ».
En outre, on peut craindre que le peu d’indications ne soient pas entièrement exactes. Des observateurs qui ont visité ces trois hôpitaux de Yaoundé et se sont entretenus avec le personnel deux semaines après la publication du communiqué ont ainsi été dans l’impossibilité d’identifier le moindre travail de construction censée préparer ces établissements à recevoir des malades du Covid-19.
Deux d’entre eux avaient simplement installé des tentes à l’extérieur pour servir de centres de dépistage, tandis que dès le 16 juillet, une pancarte installée à l’Hôpital général de Yaoundé annonçait que l’établissement n’admettait plus de malades du Covid-19.
Des groupes citoyens de surveillance tels que l’Association pour le développement intégré et la solidarité interactive (Adisi), avec sa plateforme numérique Data Cameroon, ont également souligné que ces 22 milliards de francs CFA ne représentent pas la totalité des fonds reçus par le gouvernement pour faire face au Covid-19.
La déclaration du ministère de la santé contient une liste de 65 personnes et compagnies ayant fait des contributions d’un total d’environ 1 milliard de francs CFA au fonds de solidarité du président. Mais le ministère n’a rendu publique aucune information spécifique sur les recettes et les dépenses du Fonds de solidarité pour la santé, qui semblent n’être régies par aucune législation.
Enfin, cette somme que le ministère affirme avoir dépensée est bien inférieure au montant effectivement reçu sous forme d’assistance internationale dans le cadre d’au moins 43 projets relatifs à la lutte contre le Covid-19, dont 100 millions de dollars de la Banque africaine de développement (BAD). L’Initiative internationale pour la transparence de l’aide (IITA) assure la traçabilité des fonds destinés à ces projets mais ne fournit pas le détail complet des dépenses ni ne rend compte de l’utilisation des 226 millions de dollars reçus du FMI.
Plus de 20 000 cas et 416 décès
Dans une lettre sollicitant ce prêt, le ministre des finances soulignait l’importance de ces fonds « pour couvrir des besoins urgents en matière de modernisation du système de santé ». Cette lettre contenait un engagement à publier tout document concernant des acquisitions d’équipements liés à la lutte contre le Covid-19, y compris les noms des propriétaires des compagnies auxquelles les contrats étaient attribués, mais nous n’avons pas pu trouver ces contrats.
Dans sa lettre, le ministre promettait également de publier les résultats d’un audit indépendant avant la fin de l’année fiscale 2020, à savoir le 31 décembre.
La traçabilité de cet argent est une question qui va au-delà du devoir qu’a le gouvernement de répondre à la solidarité publique par une gouvernance responsable ; elle est aussi essentielle pour assurer que des fonds indispensables pour lutter contre une pandémie soient distribués dans leur totalité et de manière équitable à travers le pays. Le Cameroun a signalé davantage de cas de Covid-19 et de décès que la plupart des autres pays d’Afrique centrale (20 431 cas dont 416 décès au 21 septembre). Pourtant, six mois après le début de la pandémie, de nombreux hôpitaux demeurent dramatiquement impréparés.
Nous nous sommes entretenus avec un médecin travaillant dans un hôpital de la région du Nord-Ouest, gravement affectée par des violences depuis fin 2016 et dont les établissements médicaux ont été attaqués à plusieurs reprises par les forces gouvernementales et par les séparatistes armés. Il a affirmé que les dix structures médicales de son district ont reçu un total de 10 millions de francs CFA début août. Avant cela, dit-il, son hôpital n’avait reçu que douze masques, vingt boîtes de gants et quatre blouses longues, pour près de 50 employés.
L’argent reçu a permis à son établissement d’acheter des équipements de protection pour quelques employés, des médicaments et deux machines de réanimation, affirme-t-il, mais c’est loin de suffire aux besoins de l’hôpital, qui ne dispose toujours pas d’équipements de protection en quantités suffisantes, ni d’une alimentation adéquate en électricité, ni même d’une ambulance. En outre, l’argent est arrivé terriblement tard : une infirmière d’un hôpital proche est morte du Covid-19 en juin.
Les Camerounais ont fait la preuve de leur solidarité. Il est grand temps que le gouvernement en fasse autant et publie un compte-rendu complet de toutes les dépenses effectuées en rapport avec le Covid-19, y compris de celles effectuées à partir du Fonds de solidarité pour la santé.
Distribué par African Media Agency (AMA) pour Human Rights Watch.