Il faut engager des poursuites contre les autorités policières responsables d’abus et effectuer des réformes structurelles
NEW YORK, USA, le 19 Octobre 2020,-/African Media Agency (AMA)/-Les forces de sécurité du Nigeria ont répondu à des manifestations contre les brutalités policières, qui étaient dans une très large mesure pacifiques, avec de nouvelles violences et de nouveaux abus,.
Des manifestations à travers le pays ont commencé le 8 octobre 2020, les participants appelant les autorités à dissoudre une unité de police connue pour de tels abus, la Brigade spéciale anti-vol (Special Anti-Robbery Squad, SARS). En guise de riposte, la police a utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau, et a tiré à balles réelles sur les manifestants, tuant au moins quatre personnes et en blessant de nombreuses autres. Des voyous armés ont également perturbé les manifestations et attaqué les participants.
« Des citoyens qui exercent leur droit de manifester et qui appellent à mettre fin aux brutalités policières sont eux-mêmes brutalisés et harcelés par des agents qui devraient au contraire les protéger », a déclaré Anietie Ewang, chercheuse sur le Nigeria auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Cela souligne l’importance des réclamations des manifestants et cela illustre la culture de l’impunité prévalant dans tout le système policier, qui a grand besoin d’être réformé.»
Les manifestations ont été déclenchées par une vidéo diffusée le 3 octobre sur Internet et montrant prétendument un agent de la SARS tirant sur un jeune homme, dans l’État du Delta. Cela a suscité une intense réprobation sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter, où le hashtag #EndSARS (« Supprimer la SARS ») a commencé à faire tendance dans le monde entier, et a conduit à des manifestations dans tout le Nigeria et dans d’autres villes à travers le monde.
Répondant en partie aux exigences des manifestants, le gouvernement a annoncé le 11 octobre que cette unité de la SARS serait démantelée. Cependant, ses membres seront intégrés dans d’autres unités de police après avoir subi des « tests psychologiques», et la SARS elle-même sera remplacée par une Équipe spéciale d’armements et de tactique (Special Weapons and Tactical Team, SWAT), qui doit commencer à s’entraîner la semaine prochaine. Aucune mesure n’a été prise pour faire rendre des comptes aux agents de la SARS pour les abus commis dans le passé, ou pour enquêter sur les individus responsables des récentes brutalités à l’égard des manifestants et les poursuivre en justice.
La SARS a été formée en 1992 pour lutter contre les vols à main armée et d’autres crimes graves. Mais depuis sa création, cette unité est accusée d’être impliquée dans des violations systématiques des droits humains, parmi lesquelles des meurtres extrajudiciaires, des actes de torture, des arrestations arbitraires, des détentions illégales et des extorsions de fonds. De nombreux Nigérians estiment que cette unité a délibérément profilé et ciblé les jeunes, en particulier ceux qui arborent des tatouages, des dreadlocks et certains biens ostensibles comme les téléphones et les ordinateurs portables. Au cours des années, les autorités nigérianes ont à plusieurs reprises promis de réformer la SARS et d’assurer que des comptes soient rendus pour les abus commis par ses agents, mais avec peu de succès jusqu’ici.
Bien que les autorités aient désormais accepté d’abolir la SARS et de prendre des mesures pour mettre fin aux brutalités policières, les manifestations, sous l’impulsion de jeunes Nigérians, ont continué. Les manifestants réclament des réformes plus ambitieuses et des mesures concrètes pour régler le problème des brutalités policières, en particulier à la suite des attaques subies par les manifestants.
Le 10 octobre, un jeune homme, Jimoh Isiaka, a été tué, apparemment lorsque la police a ouvert le feu pour disperser des manifestants à Ogbomosho, dans l’État d’Oyo, selon les médias et Amnesty International. Au moins deux autres personnes – un homme et un adolescent – ont été tuées le lendemain lors de manifestations de protestation contre la mort d’Isiaka, selon une enquête publiée par le Premium Times et comportant une vidéo qui, selon ce journal, montre des agents de police traînant des corps jusque dans un véhicule blindé de transport de troupes, après la fusillade.
Le gouverneur de l’État d’Oyo a confirmé que trois personnes avaient été tuées et au moins six autres blessées lors des manifestations dans cet État. Dans une déclaration, la police a affirmé n’avoir utilisé que des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants et a démenti les allégations de fusillade le 10 octobre.
À Abuja, la police a dispersé des manifestants le 11 octobre à l’aide de gaz lacrymogène et de canons à eau. Human Rights Watch s’est entretenu avec trois personnes qui ont participé ou qui se trouvaient à proximité de la manifestation, et qui ont été sévèrement passées à tabac par les policiers.
L’une d’elles, une femme de 30 ans, a affirmé qu’au moins quatre agents de police l’avaient frappée à coups de bâton et de matraque, peu après que la police eut tiré des cartouches de gaz lacrymogène et dirigé leurs canons à eau sur les manifestants.
« Quand nous avons vu que les agents qui se trouvaient devant nous sur la route avaient formé une ligne pour nous faire face, nous nous sommes arrêtés et nous sommes assis ou agenouillés sur le sol, pour leur montrer que nous n’étions pas agressifs », a-t-elle dit. « Mais immédiatement, des cartouches de gaz lacrymogène ont commencé à tomber partout, suivies par de très forts jets d’eau, pendant environ 10 à 15 minutes sans interruption. Je portais un masque mais avec l’eau qui me frappait le visage, j’avais du mal à respirer. Puis ils ont commencé à courir vers nous. Je ne suis pas enfuie parce que je n’aurais pas dû avoir à le faire; Je ne faisais rien de mal.»
Cette femme a ajouté qu’un agent de police a alors commencé à la frapper à coups de bâton et, quand elle a essayé de le repousser, deux autres les ont rejoints, avec un bâton et une matraque. Elle est restée étendue au sol pendant qu’ils continuaient à la frapper. Puis, un homme qui avait observé et filmé la scène de l’autre côté de la rue est arrivé au volant de sa voiture et lui a crié d’y monter. Alors qu’elle essayait de monter dans la voiture, un autre agent l’a frappée dans le dos avec un gros bâton. Elle a affirmé que son passage à tabac lui avait causé une fracture du crâne et que, depuis lors, elle a des vertiges. Elle a été hospitalisée.
Une autre femme, âgée de 28 ans, a affirmé qu’elle rentrait de son travail et se dirigeait vers son domicile, le 11 octobre non loin du Secrétariat fédéral à Abuja, quand elle a vu une foule qui courait dans sa direction. Elle s’est aussi mise à courir mais s’est vite arrêtée pour décider où aller.
« Dès que la police est arrivée et m’a vue, un agent m’a demandé ce que je faisais là, et quand j’ai répondu que je revenais de mon travail, il a demandé: ‘Quel travail?’», a-t-elle dit. « Je n’ai même pas pu lui expliquer ou lui montrer une pièce d’identité avant que d’autres n’arrivent et commencent à me frapper à coups de gourdin. Environ six agents m’ont entourée, me frappant tandis que j’étais étendue au sol. L’un d’eux m’a même menacée avec un couteau; Ils ont vidé le contenu de mon sac sur le sol et ont fracassé mon téléphone avant de me laisser partir.»
Le 12 octobre, des agents de police à Surulere, un quartier de Lagos, ont ouvert le feu pour disperser des manifestants, tuant un homme de 55 ans, Ikechukwu Ilohamauzo, ont affirmé les médias. Human Rights Watch a interrogé deux manifestants et un journaliste qui étaient sur place. L’un des manifestants a affirmé que la police était arrivée et avait ouvert le feu pour disperser les manifestants quand ceux-ci se trouvaient à proximité d’un commissariat, près de Western Avenue. Alors qu’il courait en compagnie d’autres manifestants, ils ont réalisé qu’un homme venait d’être atteint d’une balle et ils sont retournés vers lui. Les manifestants ont observé et filmé tandis qu’une équipe médicale essayait d’administrer des soins d’urgence à cet homme, mais en vain et l’homme est mort. Human Rights Watch a visionné la vidéo et l’a archivée.
Les médias ont affirmé qu’Ilohamauzo était un conducteur qui s’était trouvé pris dans les embouteillages à proximité des manifestations et qui était sorti de son véhicule pour uriner, quand il a été atteint d’une balle perdue.
La police de Surulere affirme qu’Ilohamauzo a été tué d’une balle perdue tirée par les manifestants qui, selon elle, ont également tué par balles un agent de police lors d’une attaque du commissariat. Elle a arrêté trois manifestants qu’elle accuse d’en être les responsables. Toutefois, des vidéos ont depuis lors fait leur apparition en ligne, qui prétendent montrer que cet agent de police était tombé au sol après une rafale de tirs de la part de ses collègues. Les trois manifestants ont ensuite été remis en liberté. Human Rights Watch n’a pas vu d’éléments de preuve indiquant que des manifestants étaient armés ou tiraient sur la foule.
La police a arrêté des dizaines de manifestants, a dénié à certains d’entre eux le droit de contacter leur avocat et ne les a remis en liberté qu’à la suite de l’intervention de responsables gouvernementaux de haut rang, dont les gouverneurs des États et le président du Sénat. Il y a également des informations selon lesquelles la police aurait endommagé et confisqué les caméras de manifestants et de journalistes. Des bandits pro-gouvernementaux présumés ont également blessé des manifestants et détruit des biens, selon les médias.
Le 15 octobre, l’armée nigériane a mis en garde « les éléments subversifs et les fauteurs de troubles » et offert de « soutenir l’autorité civile en quelque capacité que ce soit pour maintenir la loi et l’ordre.» L’armée nigériane a également été impliquée dans des violations des droits humains, notamment pour avoir recouru à la force létale contre des manifestants pacifiques.
Le droit de manifester pacifiquement est garanti par la constitution nigériane et par le droit humanitaire international. L’usage de la force sans nécessité pour disperser des manifestants est illégal. Au contraire, les manifestants devraient être protégés par les autorités.
Human Rights Watch a documenté des violations des droits humains par la police nigériane depuis des années. Dans un rapport de 2010, Human Rights Watch avait averti que le manquement prolongé des autorités à leur devoir de s’occuper des violations commises par la police ne ferait que renforcer l’impunité et mènerait à davantage d’abus systémiques.
« Les autorités nigérianes ne peuvent plus ignorer la nécessité d’engager des réformes sérieuses et d’introduire de la responsabilité dans le système policier », a conclu Anietie Ewang. « Elles devraient aller au-delà des discours et envoyer un signal clair selon lequel les choses sont en train de changer, en ouvrant des enquêtes sur les attaques ayant visé les manifestants et en prenant immédiatement des mesures pour faire rendre des comptes aux agents responsables.»
Distribué par African Media Agency (AMA) pour Human Rights Watch.